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PRIX GARDE-FOU 2024 – JANE ROCHETTE

5 juin 2024

Programmation 2023-2024, Programmation-archives

Depuis 2010, Folie/Culture soutient la création chez les artistes en voie de professionnalisation en remettant le prix Garde-fou à un.e finissant.e du Baccalauréat en arts visuels et médiatiques de l’Université Laval. Le prix, une bourse de 750$ ainsi qu’un texte de 250 mots sur l’œuvre récipiendaire, est attribué à une personne dont le travail est le résultat d’une recherche inusitée s’accordant avec la mission de Folie/Culture.

Cette année, le jury se composait de Myriam Le Lan, coordonnatrice à la programmation et Laurence Gravel, adjointe administrative chez Folie/Culture. Mai Nguyen, Delphine Hébert-Marcoux, Fanny H-Levy, Tommy Vachon et Audrey Angers membres du comité de programmation de Folie/Culture ainsi que Charlotte Cougnaud, artiste et autrice.

Le jury tenait à souligner l’épatante qualité de l’ensemble de l’exposition autant grâce aux oeuvres présentées que le commissariat sensible et méticuleux de Mathilde Demoli. Quelques propositions abordent de manière évidente les préoccupations propres à l’organisme. Après une courte délibération, la plus courte des 4 dernières années, le jury a pris la décision d’être sensible à une approche vulnérable et énigmatique démontrée dans l’œuvre retenue.
La tension créée par une intimité à la fois dévoilée, mais inaccessible rejoint les préoccupations qui animent le comité de programmation de Folie/Culture. Ce dernier a été impressionné par la rigueur bordant la folie avec laquelle l’artiste a su créer une atmosphère de douce lourdeur. Plusieurs pourront se reconnaître dans l’isolement qui émane de ce non-lieu, tout en s’y sentant intrus.

C’est avec honneur que Folie/Culture décerne le prix Garde-fou pour la cohorte 2024 à Jane Rochette.

Un texte de Charlotte Cougnaud

Si cet espace nous habille comme un vêtement étroit, c’est que Jane l’a tissé proche de sa peau. Tellement proche qu’il s’est mêlé à sa chair. Nous en effleurons les entrailles, sur un fil tendu entre délicatesse et pesanteur.  

 

Sommes-nous dans une chambre, une salle de bain, une cellule, une cachette? Indéfini et comme recroquevillé entre deux clartés, l’espace semble se dérober pour mieux déployer les angles morts. La lumière hésite, un bulbe éclabousse l’obscurité en stroboscope. 

 

Objets ressuscités, porteurs d’histoires opaques, remplissent l’étroitesse du lieu. Jane s’aventure à les cueillir çà et là, en fleurs séchées au bord des chemins. On se faufile ainsi entre cadavre de baignoire, matelas accoté au mur, chaise tordue et pendue par les pieds, ciseau rouillé. Tout, ici, semble jouer des antagonismes. Entre équilibre précaire et persistance immémoriale. La rouille, la tâche, la poussière.

 

À mesure que l’on prend conscience de l’ampleur de l’ouvrage, le trouble devient magnétique.  

Les objets et les meubles deviennent les organes d’un corps qui persiste. L’écriture en est la fièvre. Jane n’est pas là, mais les fragments vibrent de sa présence. Elle investit compulsivement la surface épuisée des objets à coup de poèmes, comme pour les rassasier davantage. 

 

Le corps fuit. S’évide pour mieux (s’)inonder. 

(Jane dirait s’illimiter*.)

 

Je l’imagine, froissée sur les tessons qui constituent son refuge, stylo à la main, pendant des heures. Enroulée sur chaque objet, elle marque ses psaumes. Un hymne crypté que l’on ne le saisit que par éclats furtifs. Infinitési-maux. Le flot semble inépuisable. Jane trace une voix qui se vide de son encre. Seule perdure l’ombre du langage, sa matière noire, insistante comme une cicatrice.  

 

la peau encodée d’un pied de lampe 

le tapis 

le fauteuil 

la baignoire 

 

Il y a ce qui persiste à se faire entendre, le résiduel qui colle sous la peau et occupe l’espace infini entre chaque seconde. Saisi·e·s dans notre inconfort, nous sommes les invité·e·s d’un temps paradoxal. 

 

nous cherchons une place dans l’écart 

dans le geste à double tranchant 

un sursaut diaphane, un demi-jour 

 

L’acte performatif est vertigineux tant il frôle l’aliénation. Ce qui me fascine surtout : le pouvoir d’activation que représente le geste délirant porté par Jane. Un geste qui enveloppe le mot comme une armure. Le mot qui enveloppe son sens comme un secret.  

L’indicible nature de ce langage épuisé qui pourtant anime les failles. Il est question de survie.

 

* Je reprends ici un terme employé par Jane citant Deleuze.

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