3 juin
Depuis 2010, Folie/Culture soutient la création chez les artistes en voie de professionnalisation en remettant le prix Garde-fou à un.e finissant.e du Baccalauréat en arts visuels et médiatiques de l’Université Laval. Le prix, une bourse de 750$ ainsi qu’un court texte sur l’œuvre récipiendaire, est attribué à une personne dont le travail est le résultat d’une recherche inusitée s’accordant avec la mission de Folie/Culture.
Cette année, le jury se composait de Myriam Le Lan, coordonnatrice à la programmation et Laurence Gravel, adjointe administrative chez Folie/Culture. Mai Nguyen, Delphine Hébert-Marcoux, Fanny H-Levy membres du comité de programmation de Folie/Culture ainsi que Charlotte Cougnaud, artiste et autrice.
Cette année, nous sommes très heureuses de remettre le prix à Guillaume Madore, pour la profondeur sans prétention de son installation Lé_singes, dont les couches de sens se dévoilent peu à peu. Portée par un élan d’urgence, l’œuvre propose une résistance physique et sensible au poids social, tout en affirmant une manière inusitée d’habiter la ville autrement. Par un dispositif d’une grande authenticité, il exprime une forme de folie lucide qui invite à repenser collectivement notre manière de cohabiter.
Un texte de Charlotte Cougnaud
GRIMPER TRÈS HAUT, CRIER TRÈS FORT
C’est le mantra performatif que propose Guillaume Madore, il serait à inscrire sur les parois de la jungle urbaine. Ça sonne comme un cri de ralliement, une invitation, un jeu d’enfant (c’est-à-dire un jeu à prendre très au sérieux). Grimper pour tracer une brèche sur la face d’un homo sapiens engourdi, pour réveiller le primate. Grimper, c’est réveiller l’animal, marquer le brouillage identitaire. Dans les failles des murs, il y a toujours des singes qui dorment.
Je m’assois en tailleur à côté du vidéoprojecteur. J’aime qu’il n’y ait rien d’autre pour s’asseoir que le sol. Des fils traînent, rassemblés par des morceaux de tape bleu. Un amplificateur dressé à la verticale, encore des fils, encore du tape. L’aspect rudimentaire frôle la joyeuse désinvolture.
Guillaume a choisi le pied d’un mur pour projeter sa vidéo Lé_singe. En guise de surface de projection, il y a peint un rectangle avec la première peinture qu’il a pu trouver (il me racontera par la suite le drôle de hasard qu’il s’agisse du même bleu, au pigment près, que l’écran d’erreur critique Windows). Le ruban de peintre est encore là, déchiré par endroits.
Cette délicate nonchalance dans les gestes traduit bien la volonté d’être au plus près des idées qui surgissent au contact d’un lieu, d’un contexte, d’une situation. Guillaume me dit installer dans l’urgence de constater ce qu’il imagine. J’aime cette formule qui frôle l’incantation. S’il ne cherche pas nécessairement de cohérence, elle me semble pourtant apparaître d’elle-même, précise dans son impact, saillante dans sa cocasserie, de la suite d’heureux hasards et de gestes spontanés.
Certains motifs agrippent les yeux et les oreilles [chiens qui aboient zooms saccades klaxons renversement d’immeubles échafaudages]. Invitation à la cavale urbaine. Entre mouvement et arrêts sur images, des silhouettes défilent. On aperçoit le grand primate métamorphe, masque sur la tête, fragmenté par un jeu de mosaïque d’images et de photomontage.
Mains et pieds nus, refuser le sol. Transgresser l’ordre horizontal des trottoirs, du paysage qui domestique les corps à coups d’itinéraires standardisés.
En compagnie d’une bande de nouveaux singes, une bande fière d’être animale. Une bande pour qui les briques et le béton deviennent des prises pour des mains en quête d’un terrain de jeu émancipateur.
En compagnie d’une bande de nouveaux singes, se tenir au pied des murs, prêts et prêtes à conjurer les mauvais sorts par un radical et joyeux soulèvement des corps.
Crédits photos Vincent Drouin




